1ère partie, 1900 – 1918

thème renouvelé au programme de spécialité Histoire des Arts en Terminale (thématique : Arts, ville, politique et société):

« Berceau de multiples avant-gardes, de courants artistiques, Paris s’est affirmée, tout au long de la première moitié du XXe siècle, comme la capitale des arts. » extrait du Bulletin Officiel.

PARIS, une ville d’artistes, cosmopolite

« La France du Second Empire avait encouragé l’immigration afin de réaliser ses travaux nouveaux. Depuis, l’industrie des mines et des métaux embauchait à tire d’annonces les bonnes volontés manuelles. Il y avait aussi les travailleurs des champs -beaucoup de Polonais -, les étudiants – beaucoup de Roumains -, les intellectuels et les artistes fuyant les persécutions tsaristes – beaucoup de Juifs. A cet égard, la France avait plutôt bonne réputation : en 1791, elle avait été le premier pays à accorder la citoyenneté et l’égalité des droits aux juifs. Elle y avait gagné une image qui avait franchi toutes les frontières. Au début de ce siècle (le XXe s., ndlr), elle incarnait la nation des libertés, des tolérances et des droits de l’homme. Des centaines de peintres et d’écrivains vinrent y vivre car ils pouvaient exprimer en ce pays des richesses, des sensibilités, des langages qui n’avaient pas droit de cité chez eux. L’art moderne, né sur les rives de Montmartre et de Montparnasse, est le fruit de brassages multiples. » Dan Frank, le Temps des bohèmes, 2015, chapitre « La vie en bleu », p.27-28., éd. Grasset.

Les notes qui suivent sont pour la plupart issues de la lecture de cet ouvrage essentiel et toutes les références renvoient à l’édition Grasset & Fasquelle,de 2015. L’auteur en a tiré les scenarii de six documentaires animés et illustrés intitulés Les Aventuriers de l’Art Moderne, réalisés par Amélie Harrault et Pauline Gaillard, disponibles sur le site ARTE. Nous vous conseillons très vivement de les regarder (en prenant des notes).

Deux foyers incontournables

Deux foyers incontournables ont fait de Paris une capitale des arts dans la première moitié du XXe siècle. D’abord, il y eut Montmartre, et le Bateau-Lavoir. Puis les artistes se dirigèrent vers le centre de Paris, à Montparnasse, le quartier bien nommé, puisqu’il renvoie dans la mythologie grecque à la demeure des Muses et du dieu des arts Apollon. Les artistes de Montmartre, puis de Montparnasse, ont eu pour ciment un certain Max Jacob (1876-1944), peintre, romancier, poète et diseur de bonne aventure (Le Temps des bohèmes, chapitre « Cyprien », p.44-58).

Montmartre

D’abord, donc, il y eut Montmartre. Ce village, rattaché à la ville de Paris en 1860 du fait du baron Haussmann, a conservé son âme de village.

Au début du XXe siècle, Montmartre abrite les artistes trop pauvres pour trouver à s’héberger ailleurs mais qui ne veulent pas renoncer à la création artistique : Suzanne Valadon, ancien modèle, y vit avec son fils, Maurice Utrillo, et son jeune amant, puis mari, André Utter, au numéro 12 de la rue Cortot, à côté de chez Erik Satie. Max Jacob réside au fond d’une cour au numéro 7 de la rue Ravignan. Un jeune artiste espagnol, Pablo Picasso, a investi en 1904 une ancienne manufacture de pianos (ou, selon une autre source, une boutique de fourrures tenue par un Canadien) qu’il baptise la Maison du Trappeur, et à laquelle son ami Max Jacob donne le nom de Bateau-Lavoir. On y accède par le haut, au niveau du 13 rue Ravignan. Une peintre de vingt ans vient s’y installer en 1904, Marie Laurencin. Le Néerlandais Kees Van Dongen y vit quelques temps en 1905, remplacé en 1906 par l’Espagnol Juan Gris (1887-1927) avec sa famille. A partir de 1908, on y trouve aussi l’écrivain, journaliste et critique d’art André Salmon (1881-1969). Le poète Pierre Reverdy (1889-1960) y prend pension quant à lui en 1910. Vivent encore à Montmartre en ces temps-là l’Italien Amedeo Modigliani (1884 – 1920) et l’Espagnol Francis Picabia (1879-1953).

Pour travailler sur les artistes du Bateau-Lavoir, un livre de référence : Jeanine Warnod, Le Bateau-Lavoir, 1975, éd; Les Presses de la Connaissance.

Autour du jeune Picasso

Autour du jeune Picasso, outre Max Jacob, son premier et plus fidèle aficionado, on trouve Guillaume Apollinaire (1880-1918), André Derain (1880-1954), Maurice de Vlaminck (1876-1956), ou encore un peintre autodidacte, un ancien douanier qu’on surnomme pour cela le Douanier Rousseau (1844-1910).  Ils n’habitent pas à Montmartre : Apollinaire habite chez Maman au Vésinet, A. Derain et M. de Vlaminck à Chatou, Henri Rousseau dans le quartier de Montparnasse.

Le cercle des artistes que fréquente Pablo Picasso s’agrandit encore quand il se rend chez les collectionneurs Gertrude et Leo Stein, rue de Fleurus (dans le 6ème arrondissement de Paris). Là, il croise d’autres artistes, écrivains, sculpteurs comme Constantin Brancusi (1876-1960), poètes, ou peintres comme Robert Delaunay, Georges Braque, Henri Matisse (1869 – 1954). Leurs tableaux sont accrochés aux murs en même temps que des œuvres du Greco, de Delacroix, Gauguin, Manet… (ibid. chapitre « Un après-midi rue de Fleurus », p.109).

Montparnasse

Au début du XXe siècle, le quartier de Montparnasse n’était guère plus reluisant que la Butte-Montmartre. Il y avait là au XIXe siècle une colline de gravats appelée « le Mont Parnasse » par les étudiants du quartier latin qui venaient y déclamer leurs vers. Au début du XXe s., le quartier était encore bon marché : on y trouvait des ateliers et des cafés accueillants : la Rotonde, le Dôme, la Coupole. Ils étaient le rendez-vous des artistes de toutes les nationalités

A la Rotonde, notamment, le père Libion les laissait se réchauffer autour d’un unique café-crème qu’il ne leur demandait pas de renouveler et que même, quand il le fallait, il leur offrait. Il était aux artistes de Montparnasse ce que le père Frédé, tenancier du Lapin agile,  était à ceux de Montmartre (même si chez Frédé, on ne buvait pas que du café et de l’eau…).

Villa Marie Vassilieff, chemin du Montparnasse, avenue du Maine. Photo : Guilhem Vellut / CC-BY.

Quant aux ateliers, Dan Frank écrit à ce propos : « Montparnasse avait aussi ses Bateau-Lavoir. Il s’agissait de cités d’artistes où les locataires venaient, partaient, revenaient au gré des pièces de leur porte-monnaie. Il y avait l’impasse du Maine, où sculptait Bourdelle. Il y avait la cité Falguière, qu’on appelait aussi la Villa rose en raison de la couleur de ses murs […] Il y avait surtout la Ruche, qui dressait sa rotonde impasse de Dantzig. Elle était l’un des lieux les plus importants de Montparnasse. Tous les artistes y firent au moins un tour : beaucoup y restèrent. » (Op. cité, Partie II, Montparnasse s’en va-t-en guerre, chapitre « La Ruche » p.190.) Marie Vassilieff (1884-1957), d’ailleurs, contribua largement au rayonnement de Montparnasse. Installée avenue du Maine en 1911, elle fonda d’abord l’Académie russe de peinture et de sculpture, puis l’Académie Vassilief. Pendant la guerre de 1914-1918, elle transforma son atelier en cantine pour ses amis artistes.

La Ruche, cité d’artistes, passage de Dantzig (15e arrdt)

A l’exception de Fernand Léger, la Ruche était occupée par des artistes juifs d’Europe centrale :

  • les Russes : Alexandre Archipenko (1887-1969), sculpteur, arrivé en 1908, Marie Vorobieff connue sous le nom d’artiste Marevna (1892-1984)
  • les Lituaniens ou Biélorusses (nés dans l’Empire de Russie) : Jacques Lipchitz, (1891-1973), Léon Indenbaum (1890-1981), sculpteurs ; Léon Bakst, peintre et décorateur (1866-1924), Marc Chagall (1887-1985), Michel Kikoïne (1892-1968), Pinchus Krémègne (1890-1981) et Chaïm Soutine (1893 ? – 1943), peintres ; Zadkine, peintre et sculpteur (1888-1967), arrivé en 1909 ;  
  • les Ukrainiens Emmanuel Manékatz, peintre (1894-1962) et Chana Orloff, sculptrice (1888-1968)
  • les Polonais Moïse Kisling (1891-1953), Henri Epstein (1891-1944), Léopold Gottlieb (1879-1934), peintres ; Morice Lipsi, sculpteur (1898-1986)
  • le sculpteur Hongrois Joseph Csaky (1888-1971)

Après la 1ère guerre mondiale, ils constituent une bonne partie de ce qu’on a appelé L’école de Paris.

À noter

Une adresse intéressante à propos du quartier Montparnasse, avec une sitographie généreusement mise à disposition (n’hésitez pas à naviguer dans le blog, merci à sa rédactrice) : https://blogmontparnos.paris/montparnasse-les-cantines-des-artistes

Le rôle des marchands d’art

Les artistes avant-gardistes du début du XXe siècle ont commencé à vendre leurs toiles chez les brocanteurs.

Ils eurent ensuite la chance (et nous aussi) d’attirer l’attention d’Ambroise Vollard qui à partir de 1890, avait déjà fait connaître trois précurseurs de l’art moderne, Van Gogh, Gauguin, Cézanne.

En 1901, c’est l’antiquaire Berthe Weill (1865-1951) qui ouvre une galerie d’art pour aider les jeunes artistes. Une exposition lui est consacrée du 10 mai au 7 septembre 2025 au Musée d’Art Moderne de Montréal: Berthe Weill, galeriste de l’avant-garde parisienne.

Puis vinrent les Stein, Gertrude et son frère Léo. (Lire à ce propos le chapitre « Deux américains à Paris », la rencontre des Steins avec A. Vollard, op. cit. p.37-43).

Le jeune Daniel-Henry Kahnweiler eut également le nez fin en achetant leurs toiles aux artistes montmartrois et en publiant leur ami Guillaume Apollinaire.

VLAMINCK Maurice (1876-1958), Les Ecluses à Bougival, 1906, huile sur toile, 54 x 65 cm, 1906, National Gallery of Canada, Ottawa.

En 1904, un certain André Level (1863-1946) crée l’association « La Peau de l’ours » avec ses frères et quelques amis, pour promouvoir les artistes modernes. Ainsi, chaque année chacun investit 250 francs pour acquérir des oeuvres d’artistes inconnus. Ils croient en eux, pour leur part, et en leur vision moderne de l’art. Et effectivement, le 2 mars 1914, soit dix ans après la fondation de l’association, ils organisent une vente à l’hôtel Drouot, qu’on pourrait comparer d’une certaine façon à la 1ère d’Hernani en 1830 pour les artistes romantiques (comme le fit André Salmon, cité par Picasso.fr) Les amis y vendent 150 oeuvres, de Van Gogh, Gauguin, mais aussi Bonnard, Maillol, Dufy, Derain, Matisse, Picasso, Van Dongen, Vlaminck…

PICASSO Pablo (1881 – 1973), Mère et enfant, 1901, Huile sur carton monté sur bois, 74,9 x 52,1 cm, Art Museum Saint Louis

Le vente, préparée soigneusement en amont, est un succès, au sens où les oeuvres se vendent, et se vendent bien, et où les partisans des Modernes se heurtent avec les partisans des Anciens, ce qui procure aux vendeurs une belle publicité.

Parmi les oeuvres vendues le 2 mars 1914 :

VLAMINCK, Maurice (1876-1958), Les Ecluses à Bougival, 1906, huile sur toile, 54 x 65 cm, 1906, National Gallery of Canada, Ottawa.

Peut-être (il faudrait consulter le catalogue de la vente), MATISSE, Henri 1869–1954), Etude de femme nue, vers 1901 -1903, dessin, crayon graphite, Papier vélin, Musée d’Art moderne de Paris

PICASSO, Pablo (1881 – 1973), Mère et enfant, 1901, Huile sur carton monté sur bois, 74,9 x 52,1 cm, Art Museum Saint Louis, https://www.slam.org/collection/objects/34066/

Nous avons parlé des peintres et de leurs marchands, abordons maintenant la littérature.

Les poètes, écrivains et « les amis des livres »

Max Jacob, natif de Bretagne, et Guillaume Apollinaire, né à Rome de mère polonaise et de père inconnu, ont joué un rôle essentiel dans l’amitié qui a fédéré les artistes parisiens de toutes les nationalités dès le début du XXe s. Mais au moins deux autres poètes ont contribué à faire de Paris la Capitale des Lettres dans le premier quart du XXe s. : Pierre Reverdy et Blaise Cendrars.

La Prose du transsibérien... mis en couleurs et en formes par Sonya Delaunay, 1913 Source: https://artspaiguille.weebly.com

Blaise Cendrars est Suisse. Au moment de la mobilisation, il a appelé les artistes étrangers à s’engager pour défendre la France. En 1915, il perd un bras, et gagne la nationalité française (de même Guillaume Apollinaire, gravement blessé à la tête par un obus ennemi). Réformé, il anime avec ses amis artistes les soirées parisiennes, notamment chez Marie Vassilieff. En 1913, il a publié La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France, une poésie en vers libres, mise en couleur par la peintre Sonia Delaunay. Au tiers du poème, un dialogue s’engge entre le jeune Blaise et Jéhanne, ou Jeanne, qui le questionne : « Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre? »

Pierre Reverdy, réformé malgré lui dès le début de la guerre, s’active pour faire vivre les écrits de ses amis, qui souffrent au front ou crèvent de misère à l’arrière.

Moins connu est le rôle que joua une certaine Adrienne Monnier qui ouvrit une librairie en plein milieu de la guerre rue de l’Odéon et diffusa les œuvres d’avant-garde.

Les revues

La période est riche en publications. Six revues intéressent en particulier les lecteurs éclairés. Trois sont d’avant-guerre :

  • Le Mercure de France, dirigé depuis 1890 par Alfred Valette et sa femme Marguerite Eymery dite Rachilde.  La revue publie des ouvrages.
  • Vers et Prose, qui paraît de 1905 à 1914, sous la direction de Paul Fort (voir à ce propos Vers et Prose (1905-1914) – Anthologie d’une revue de la Belle Époque (éd. Claude-Pierre Pérez, Annick Jauer, Hugues Laroche, Elisabeth Surace), Paris : Classiques Garnier, 2015
  • La Nouvelle Revue française, dont le 1er numéro paraît en novembre 1908. André Gide est directeur littéraire. Gaston Gallimard prend la direction de la revue. La publication est interrompue pendant la guerre. Elle reprend en 1919.

Les trois autres naissent pendant la guerre et s’arrêtent quasiment en même temps qu’elle :

  • L’élan, à l’initiative d’Amédée Ozenfant, 1915-1916. « En 1915 Amédée Ozenfant fonde la revue L’Élan. Pendant deux ans, elle publie à Paris les œuvres des artistes que les revues cubistes d’avant-guerre avaient fait connaître, et qui étaient alors au front ou à l’arrière : Derain, Dunoyer de Segonzac, Favory, Fauconnet, Laboureur, La Fresnaye, Lespinasse, Lhote, Marchand, Metzinger, Moreau, Picasso, Severini. » Hadrien Viraben « L’image de la guerre dans L’Élan (1915-1916), un refoulement apparent dans les Cahiers de l’Ecole du Louvre (en open source)
  • SIC (Sons, Idées, Couleurs, Formes), 1916-1919, de Pierre Albert-Birot. Il publie Apollinaire, des futuristes italiens (Marinetti)…
  • Nord-Sud, mars 1917 – mai 1918, sous la houlette de Pierre Reverdy, Les collaborateurs selon les numéros, sont : Max Jacob, la baronne d’Oettinger (sous deux pseudonymes : Roch Grey ou Léonard Pieux), Guillaume Apollinaire, André breton, Tristan Tzara (depuis Zurich où il publie sa propre revue, DADA), Philippe Soupault, Louis Aragon, Jean Paulhan…

C’est Pierre Albert-Birot qui suggéra à Guillaume Apollinaire, en 1917, de mettre en scène une oeuvre théâtrale que le poète avait écrite en 1903, les Mamelles de Tirésias, « l’histoire de Thérèse, devenue Tirésias qui, comme le devin de Thèbes, change de sexe et prend le pouvoir des hommes » (op. cit. chapitre « 3, rue Barat », p.318). Dan Frank raconte à la page suivante comment cette pièce a été qualifiée, un peu par hasard, de « drame surréaliste ». L’adjectif, un néologisme, inspira André Breton, Louis Aragon et Philippe Soupault, quelques temps plus tard, quand ils voulurent nommer le mouvement artistique qu’ils venaient de créer. Pour revenir à la représentation des Mamaelles de Tirésias, dont la couverture du programme avait été réalisée par P. Picasso, elle suscita un beau scandale.

La Maison des amis des livres 

La Maison des amis des livres est une librairie située 7, rue de l’Odéon. Elle est tenue par une certaine Adrienne Monnier. « Cette ‘’Maison des amis des livres’’, ouverte en 1915, joua un rôle considérable dans la diffusion de la culture des vingt années qui allaient suivre. » (op cit. p.290 et chapitre « Aux Amis des livres », p.291 à 295)

Comment fonctionne la librairie ?

On achète, bien sûr, mais on peut aussi emprunter, et assister à des lectures.

Qu’y trouve-t-on ?

Quand elle ouvre sa librairie, Adrienne Monnier n’est pas riche, et on est en temps de guerre. Elle vend des ouvrages qu’elle tient de sa famille. Elle achète aussi les invendus d’œuvres publiées par le Mercure de France et la Nouvelle Revue française. Elle acquiert ensuite le fonds de la revue Vers et Prose qu’avait animée Paul Fort entre 1905 et 1914. On peut encore trouver chez elle le journal Dada de Tristan Tzara acheminé depuis la Suisse. En résumé, Adrienne Monnier diffuse les avant-gardes littéraires.

A propos de la revue Vers et Prose et de la librairie

Dan Frank rapporte à propos de la revue Vers et Prose et de la librairie La Maison des amis des livres deux anecdotes : D’abord, il raconte qu’André Breton acheta plusieurs fois le tome IV de Vers et Prose (décembre 1905-janvier, février 1906) à la libraire, puis le conseilla sans doute à son ami Louis Aragon qui vint l’acheter à son tour. Ce numéro, qui publiait, entre autres, des textes d’Apollinaire, André Salmon, André Gide, Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Francis Jammes, retranscrivait en particulier un essai écrit en 1896 par Paul Valéry, La Soirée avec monsieur Teste. C’est ce texte qui intéressait André breton et Louis Aragon, futurs créateurs, avec Philippe Soupault, du Surréalisme. La deuxième anecdote concerne une jeune Américaine, Sylvia Beach, qui en 1917 pousse la porte de la boutique à recherche de ladite revue, dont la libraire faisait la publicité.

Les Américains à Paris

Or, sous l’influence d’Adrienne Monnier, Sylvia Beach ouvre en 1919 sa propre librairie (dans le même quartier de l’Odéon, rue Dupuytren). Dan Frank écrit : « Tous les Américains qui vinrent à Paris après la guerre élurent domicile chez Sylvia Beach. Sa librairie fut un centre de rencontres, une adresse pour le courrier, le premier endroit que visitaient les littérateurs venus d’outre-Atlantique. Parmi eux Hemingway, à qui la jeune femme fit maintes fois crédit tout en lui prêtant les ouvrages qu’il souhaitait lire. Et aussi Ezra Pound, qui persuada James Joyce de venir à Paris. » (op. cit. p.293)

Le coup du siècle d’Adrienne Monnier et Sylvia Beach

L’écrivain James Joyce posant sur le perron de la librairie « Shakespeare and Company » avec la libraire et éditrice Sylvia Beach à Paris dans les années 20. ©Getty – Photo by Mondadori via Getty Images, (France culture)

Les deux femmes étaient moins des commerçantes que des amateurs (amateures? amatrices ?) d’art éclairées. Ainsi, alors qu’Ulysse, de l’écrivain irlandais James Joyce, écrit en 1918, était interdit de publication aux Etats Unis sur une plainte de « la Société pour la suppression du vice », Adrienne Monnier en faisait à Paris la publicité en 1921 (à l’occasion d’une conférence de Valéry Larbaud) et Sylvia Beach publiait l’ouvrage en langue anglaise en 1922. Ulysse parut ensuite en Français chez Adrienne Monnier, en 1929. L’oeuvre ne fut publiée aux Etats-Unis qu’à partir de 1933.

Pourtant, Ulysse fut une révolution. Voici ce qu’on peut lire sur le site de l’éditeur Gallimard à propos d’Ulysse : « […] Chaque épisode correspond à un épisode de L’Odyssée. Mais la parodie débouche sur une mise en cause du monde moderne à une époque de muflisme. Joyce exprime l’universel par le particulier. Bloom, Dedalus, Marion sont des archétypes. Toute la vie, la naissance et la mort, la recherche du père (Dedalus est aussi Hamlet), celle du fils (Bloom a perdu un fils jeune), toute l’histoire sont contenues en un seul jour. C’est à Rabelais, à Swift que l’on peut comparer l’art de Joyce qui a écrit, dans Ulysse, la grande œuvre épique et satirique de notre temps. »

Vous pouvez sur ce sujet écouter sur France Culture le podcast Sylvia Beach et Adrienne Monnier racontent comment elles ont fait publier « Ulysse » de James Joyce, en France.

Pour le portfolio

Quelques idées pour le portfolio que les candidats au baccalauréat en spécialité Histoire des Arts doivent défendre à l’oral :

  • Le foyer artistique du Bateau Lavoir
  • Le rôle de guillaume Apollinaire dans le rayonnement de Paris comme capitale des arts au début de XXe siècle
  • Y a-t-il un style propre aux artistes émigrés de la Ruche?
  • Les artistes parisiens au service des Ballets russes
  • L’émulation autour de Matisse et Picasso
  • Le cubisme, initiateurs et suiveurs
  • les scandales : le fauvime
  • Selon Georges Braque, la peinture d’André Derain est tactile, celle de Maurice de Vlaminck brutale
  • les scandales : le cubisme
  • Pourquoi Les Mamelles de Tirésias suscita le scandale
  • les scandales : Marcel Duchamp, Nu descendant l’escalier
  • Le cirque Médrano, 63 boulevard Rochechouart, rendez-vous des artistes et thème d’inspiration au début du XXe siècle
  • Le marché de l’art des avant-gardes (1900-1914)
  • La relation entre les écrivains et les plasticiens dans le premier quart du XXe s.
  • Sur le thème de L’Après-midi d’un faune de Stéphane Mallarmé (1876) et du Prélude à l’Après-midi d’un faune, de Claude  Debussy (1894) :
    • Matisse (1869-1954) Le Bonheur de vivre, 1905-1906  –  Fondation Barnes, Philadelphie (Etats-Unis)
    • Les Ballets russes, du Prélude à l’Après-midi d’un faune, ballet en un acte . Chorégraphe et danseur, Vaslav Nijinski, décors et costumes de Léon Bakst.
  • L’émulation compétitive entre Henri Matisse et Pablo Picasso dans les premières années du XXe siècle à Paris.
  • deux oeuvres révolutionnaires d’Henri Matisse : Le Bonheur de vivre, 1905-1906 et Nu bleu (souvenir de Biskra), 1907
Henri Matisse, Nu bleu (Souvenir de Biskra), 1907, Huile sur toile, 92,1 x 140,3 cm, Baltimore Museum of Art
Henri Matisse (1869-1954) Le Bonheur de vivre, 1905-1906 – huile sur toile, 176.5 x 240.7 cm, Fondation Barnes, Philadelphie (Etats-Unis)

Cette période s’achève avec la victoire chèrement gagnée de la France sur l’Allemagne et, à Paris, la mort de Guillaume Apollinaire de la grippe espagnole et celle d’Amadeo Modigliani de la tuberculose, mais aussi sur la vente de la collection de Daniel-Henry Kahnweiler, qui avait soutenu tous les artistes dont nous avons parlé dans cet article. Mal préparée, cette vente, ordonnée par l’Etat français à son profit contre le marchand d’art allemand, permit à des amateurs d’art modestes d’acquérir des oeuvres aujourd’hui considérées comme majeures dans l’histoire de l’art.

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